Une brève histoire de l'habitat en zone de loisirs (et du plan HP)
Un peu partout en Wallonie s'est développé depuis plus de 30 ans un habitat en caravanes et chalets dans des zones de loisirs (campings, domaines). Commencé très discrètement dans les années 70-80, ce mouvement s’est accéléré au mitan des années 90 jusqu’à aujourd’hui. On évalue à 12.000 le nombre d’habitants sur tout le territoire pour tous types de zones (de loisirs, agricoles, forestière…). Un habitat dispersé dans toutes les provinces, plus concentré autour de l’ancien bassin industriel (dans le sud de la région liégeoise et dans le Hainaut) et majoritairement dans le sud namurois.
Il résulte de la rencontre d’au moins deux logiques « économiques ».
- D’un côté, celle de sites touristiques autrefois populaires, en partie désaffectés, qui trouvaient à se reconvertir.
- De l’autre, celle des ménages sans cesse plus nombreux qui n’arrivaient plus – dans un contexte de crises économique et du logement - à se loger sur le marché « de la brique », et ont trouvé le moyen de produire eux-mêmes une solution d’habitat accessible.
S’il est vrai que certains sont devenus victimes captives de vrais exploiteurs leur louant « cher et vilain » des caravanes en très mauvais état, il s’agit plutôt de situations isolées et la question est plus complexe en réalité. Et s’il est difficile de faire des généralités, la plupart de ces sites ont au moins deux choses en commun :
- Cet habitat de fait n’était pas légalement considéré comme du logement (immeuble bâti, répondant aux critères de salubrité), les caravanes et chalets étaient jusqu’il y a peu catégorisés administrativement comme des « abris », leurs habitants comme des « résidents permanents » (ce qui est très stigmatisant et violent) ;
- les zones sur lesquelles cet habitat est installé (le sol), ne sont généralement pas « conformes » en matière d’aménagement du territoire : ces équipements touristiques ne sont pas prévus pour y habiter et sont souvent en infraction urbanistique.
Un plan Habitat Permanent qui dure...
En 2002, la Région wallonne élabore un « Plan Habitat Permanent » (Plan HP) pour prendre la situation à bras le corps. Transversal puisqu’il intègre les compétences d’autant de ministères qu’il y a d’enjeux. Pluriannuel car on sait déjà - vu son ampleur - que la situation est partie pour durer… Il mobilisera une trentaines de Communes volontaires, des partenaires et des moyens financiers importants.
Pour le dire simplement, ce plan se focalise sur deux axes (et deux phases) : la priorité aux campings et aux zones inondables qui doivent être évacués, leurs habitants relogés. D’autres sites (domaines et parcs résidentiels) pourraient retourner à leur vocation touristique ou, peut-être, faire l’objet d’une «régularisation »…
Depuis sa mise en œuvre en 2004, l’effort et les moyens vont essentiellement au relogement « volontaire » et à la maîtrise de entrées pour empêcher de nouvelles installations : les habitants les plus fragiles sont souvent mis sous pression, sans véritable choix que d’accepter ce qu’on leur propose…
15 ans et plusieurs évaluations après, force est de constater que le «Plan HP » ne remplit pas ses promesses à bien des niveaux.
Malgré tous les efforts et les moyens déployés, le nombre global d’habitants est resté stable ! Au total, quelques centaines de personnes ont été relogées, souvent vite remplacées par d’autres. Un relogement qui n’est pas toujours pour un mieux : redevenir locataire, perdre la maîtrise (budgétaire) de son logement, ne plus habiter « chez soi » n’est pas forcément un progrès.
La maîtrise des entrées n’a pas permis d’endiguer la demande de plus en plus forte : on a fait comme si la crise du logement n’existait pas !
Pendant toutes ces années, les perspectives de régularisation sont quasiment restées lettres mortes, laissant les habitants dans une grande insécurité et bloquant tout espoir immédiat d’aller vers un mieux. Pourtant, en 2013 le plan HP pesait 3.000.000€ : de quoi faire pas mal d’améliorations si ces moyens avaient été investis dans ce (bon) sens!
Des avancées… compliquées, une première reconnaissance encore fraiche
Après la timide ouverture en 2012 d’une prime pour l’amélioration à ces « habitations qui ne sont pas des logements », une mission parlementaire s’empare de la question en 2015. Auditions, visites de terrain, rapport et recommandations : les parlementaires dévoilent fin 2017 un nouveau décret et la procédure créant des « Zones d’Habitat Vert », promesse tant attendue de régularisation. Elle est mise en œuvre tambour battant au printemps 2018.
Un an plus tard, la montagne a accouché d’une souris : sur 173 équipements wallons, 18 seulement figurent sur la maigre liste du Gouvernement. Longue et coûteuse, la procédure est compliquée : les Communes ont dû s’y engager sans trop savoir comment elle aboutirait. Qui paiera les travaux de mise en conformité ? Comment les habitants seront-ils réellement impliqués ? Surtout, que va-t-il se passer pour tous les autres sites ? Les habitants sont sidérés : après plus de 20 ans, l’écrasante majorité ne sait toujours pas à quelle sauce elle va être mangée…
Sortir de l’impasse, changer de paradigme, entendre (enfin) ce que disent les habitants
Les habitants aspirent simplement à ce que leur habitation et leur installation soient légitimées. On leur oppose régulièrement qu’ils n’ont pas tous choisis, que certains y seraient contraints. Mais qui choisit pour eux au final ?
Pourtant, depuis plus de 20 ans (pratiquement) tous, habitants de caravane, de chalet, dans un camping, un domaine ou ailleurs répètent à qui veut l’entendre qu’ils s’y trouveraient bien s’ils accédaient à tous leurs droits, aux services et équipements dont bénéficie tout citoyen.
Là, ils s’en sortent avec leurs parcours et leurs moyens. Et s’ils n’ont pas tous « choisi » d’y aller, ils choisissent presque tous d’y rester, parfois même d’y retourner. Parce qu’ils y ont trouvé de la convivialité, des solidarités, un contact renoué avec la nature et un cadre rural encore préservé, mais surtout un rapport supportable et soutenable à l’habitat. Et qu’ils n’ont attendu l’aide de personne, pour (re)devenir propriétaires pour la plupart sans s’endetter lourdement et en améliorant leur vie à leur niveau. Bref, ils sont parvenus « à bien vivre où c’est mal » plutôt qu’à « mal vivre où c’est bien ».
En matière de santé, on sait qu’on ne guérira pas un patient contre son gré ni sans l’écouter.
La politique de relogement fait l’objet d’une évaluation bientôt rendue publique. Le renouvellement du Plan HP sera proposé au Gouvernement sorti des urnes cette fin mai. Le décret Zone d’Habitat Vert est en cours d’application…
C’est le moment d’y réfléchir : si on tentait de sortir de l’impasse et d’enfin reconnaître les choix des habitants ? Après 20 ans de mesures adoptées contre l’avis des habitants et qui n’ont pas fait la différence, n’est-il pas nécessaire de changer de paradigme pour aller vers la reconnaissance complète de toutes les formes d’habitat léger ?
Les habitants ont été assez patients. N’est-il pas temps de les entendre - plus que de les écouter - et de reconnaître leurs habitations légères comme des modes légitimes de production citoyenne de réponses valables à la crise du logement, aux enjeux de transition écologique mais aussi à l’aspiration de modes renouvelés d’habiter ? Par conséquent, de tout mettre en œuvre pour autoriser les installations, régulariser les situations, garantir l’accès aux droits, aux aides et primes, et orienter tous les moyens pour leur permettre concrètement un meilleur avenir dans le respect de leurs choix. On arrivera à quoi autrement ?