Chaque jour plus de 10 jugements sont rendus pour expulser des ménages de leur logement en Wallonie (A. Deprez et V. Gerard, 2015). Au total, ce sont plusieurs milliers de personnes qui sont expulsées de leur logement tous les ans avec des conséquences dramatiques sur leur parcours de vie. Les expulsions ne sont pas inéducables et sont évitables dans bien des cas.
Pourtant, actuellement, trop peu de moyens et d’actions sont mis en place pour les empêcher. Elles sont la conséquence de conditions structurelles, dont la principale est la hausse constante des loyers qui poussent toujours plus de ménages vers la précarité. En effet, la grande majorité - 8 sur 10 - des expulsions sont liées à des impayés de loyers, devenus tout simplement impayables pour de nombreux et nombreuses wallons et wallonnes.
Si nous voulons pouvoir garantir le droit à un logement décent pour tous et toutes, il n’est plus possible de laisser faire le marché privé sans prendre des mesures contraignantes. Il n’est plus possible pour les pouvoirs publics wallons d’ignorer l’absolue nécessité de s’attaquer aux racines du problème et de revoir la politique du logement en profondeur pour garantir le droit à tous et à toutes de se loger dignement.
Ce n’est pas aux locataires de payer pour l’inaction des pouvoirs publics !
A l’automne 2022, le gouvernement wallon avait pourtant pris une mesure salvatrice en empêchant les expulsions en hiver et en gelant la hausse des loyers des logements à faible performance énergétique (Décret du 19 octobre 2022). Mesures tout à fait indispensables au regard de la hausse démesurée des loyers depuis des années et de l’explosion des prix de l’énergie. Pourtant, alors que cette mesure concernait près de 75% des locataires wallons (Gouvernement wallon, 2022), le gouvernement wallon a choisi de ne plus reconduire ces deux mesures depuis le 1er novembre 2023, estimant que la situation était revenue « à la normale » (RTBF, 2023). Et ce alors que tous les indicateurs sont au rouge depuis des années pour les locataires : 10 % d’augmentation des loyers en cinq ans (Federia ; 2023), 40.069 ménages en attente d’un logement social (Anfrie, MN. (coord.), Coban E., Hubert J., Kryvobokov M. & Pradella, S. , 2021), augmentation du taux d’effort des ménages pour se loger, etc.
A la tête de ces ménages locataires, on retrouve en grande partie des femmes, pour qui se loger signifie de couper le chauffage, réduire leurs dépenses de bases tels que la santé ou l’alimentation, vivre dans des logements trop petits voire insalubres... Sans perspective de pouvoir accéder à un logement social, ni de pouvoir devenir propriétaire, ces ménages sont littéralement prisonniers d’un marché privé dérégulé.
Bien plus qu’un conflit entre locataires et propriétaires
Les expulsions doivent être abordées du point de vue du droit à un logement décent conformément à l’article 23 de la Constitution belge. C’est de la responsabilité de tout législateur respectueux des droits fondamentaux et de la dignité humaine de mettre tout en oeuvre pour garantir la réalisation de ce droit fondamental.
Selon l'avocate Veronique van der Plancke, “Le droit au logement est un droit fondamental tant dans l'accès au logement que dans le maintien au logement. Cela signifie qu'il engage pleinement la responsabilité des pouvoirs publics, et par conséquent, les expulsions sont une question politique majeure. Les expulsions vont bien au-delà d’un conflit entre locataire et propriétaire”.
Des loyers impayés ? Des loyers impayables !
Près de 8 expulsions sur 10 sont motivées par des arriérés de loyers dont la valeur médiane se situe en dessous de 3.000 euros (A. Deprez et V. Gerard, 2015 ; BRU-HOME). Pour la géographe Pernelle Godart, co-autrice du rapport BRU-HOME sur les expulsions en Région de Bruxelles-Capitale « ces quelques chiffres montrent que les expulsions de logement sont, dans une large majorité, des exclusions du marché privé du logement : les ménages qui ne parviennent pas à honorer leur loyer sont évincés pour faire de la place pour des ménages plus « rentables ». En plus d’alimenter le nombre d’expulsions pour impayé, les prix (trop) élevés du marché sont indirectement la cause d’expulsions suite au non-départ en fin de bail : les ménages concernés ne trouvent nulle part d’adéquat et d’abordable où aller. En ce sens, la cause principale des expulsions de logement, ce n’est pas les loyers impayés, mais les loyers impayables » (Godart, Swyngedouw, Van Criekingen et van Heur, 2023).
Alors que de l’autre côté, il est aujourd’hui démontré que « les bailleurs n’ont pas «besoin» de leurs loyers pour «survivre» ou même « vivre dignement ». Celui-ci constitue avant tout un supplément ou un « bonus » par rapport à d’autres revenus qu’ils perçoivent (salaires, revenus d’une activité indépendante, pensions, allocations, etc.). (…)- Du point de vue du patrimoine, ils sont aussi plus riches qu’un ménage médian » (IWEPS, F. Ghesquiere, 2023).
Le coût social de la dérégulation du marché locatif privé est entièrement supporté par les locataires qui en paient au prix fort. Dans un tel contexte et alors même qu’elle s’est engagée à éradiquer le sans-abrisme et la pauvreté via un plan stratégique, la Région wallonne ne peut pas rester passive face à une problématique qui pousse toujours plus de personnes vers la précarité et accroit les inégalités. Elle doit mettre davantage de moyens pour garantir l’accès à un logement décent à un prix abordable, qui garantit une vie digne et empêche de tomber dans la grande pauvreté.