Les expulsions de logement, de quoi parle-t-on?

Selon  le sociologue américain Matthew Desmond, « une expulsion, c’est lorsque votre propriétaire vous oblige à quitter les lieux alors que vous ne le souhaitez pas » (M. Desmond, 2019). Cette définition large des expulsions permet de prendre en compte les expulsions légales, ordonnées par un ou  une juge de paix (expulsions judiciaires), ou par un ou une bourgmestre (expulsions administratives), et les expulsions illégales et informelles (pressions et menaces exercées par un propriétaire sur un locataire, violences, conflits familiaux, violence conjugale, etc.).

Cet article porte uniquement sur les expulsions judiciaires ordonnées par la justice de paix. Il est important de souligner que ce ne sont que la partie émergée des expulsions et de la privation du droit fondamental d’accès à  un logement décent.

Cachez ces expulsions que l’on ne veut voir !

Le premier constat est le manque de données disponibles concernant le nombre d’expulsions, les personnes qui les subissent et les impacts sur leur vie, les trajectoires après une expulsions ou encore les éléments qui justifient les décisions d’expulsions autorisées par la justice de paix. Les seules informations proviennent d’un rapport publié en 2015 par l’Institut wallon d’Evaluation, de Prospective et de Statistique (A. Deprez et V. Gerard, 2015) sur base de donées récoltées en 2012-2013.  Dix années plus tard, aucune recommandation n’a été suivie malgré de nombreux appels… Déjà dans ce rapport, les auteurs et autrices pointaient du doigt le manque de données disponibles qui met l’ensemble du secteur – mais surtout les pouvoirs publics -  dans l’impossibilité de mettre sur pied des mesures qui répondent à ces constats.

Sans suivi et évaluation, il est impossible de prétendre combattre les expulsions et le sans-abrisme. Sans connaissance, il est impossible d’ajuster les pratiques, les actions et les cadres légaux.

Un manque de logements décents et abordables, la première cause des expulsions

Le deuxième constat est que les niveaux de revenus et de loyers sont manifestement deux facteurs corrélés qui jouent un rôle important dans la problématique des expulsions. L’augmentation de la précarité et un manque cruel de logements abordables sont les causes principales des expulsions.

C’est pourquoi, la libre marchandisation du logement doit être remise en question. Pour lutter contre ce phénomène, il est donc nécessaire d’avoir un contrôle des pouvoirs publics sur les loyers par des mécanismes contraignants et une offre de logements publics bien plus importante. Le logement public est un rempart contre la grande pauvreté qui doit être élargi.

Des violences quotidiennes qui poussent les ménages à la rue

Le troisième constat est que les expulsions touchent une part non-négligeable de ménages en Wallonie. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal mais de violences structurelles et quotidiennes sur des milliers de ménages. En ce qui concerne le nombre d’expulsions prononcées par la justice de paix, le rapport de l’IWEPS estime qu’en 2012 et 2013, il y a eu entre 4.000 et 5.000 jugements concernant des expulsions domiciliaires, soit entre 11 et 14 chaque jour !

L’expulsion est une procédure qui s’étale sur plusieurs mois. Elle est une source intense de stress pour les ménages qui se voient menacés de perdre leur logement. En plus de la peur de se retrouver à la rue, la procédure d’expulsion provoque des sentiments de culpabilité et de honte chez les personnes menacées d’expulsion. Beaucoup d’expulsions se passent de façon invisibles : les personnes préférant partir avant de subir l’humiliation et les conséquences d’une expulsion physique avec le recours d’un huissier et de la police.

Des travailleuses à bout, face à des locataires en détresse

Le quatrième constat est que les travailleuses et travailleurs sociaux, sont débordés et manquent de moyen pour remplir leurs fonctions et leurs missions de service public tout en faisant face à un manque de logements disponibles à proposer. C'est une souffrance quotidienne de se sentir incapable de répondre aux besoins de personnes en détresse, de ne pas avoir assez de temps, d’être en sous-effectif, de ne pas trouver de solution adéquate, etc. Ils et elles sont la plupart du temps amenées à travailler sur les conséquences plutôt que sur les causes des expulsions. La surcharge de travail dans le domaine social et l’absence récurrente de solutions de relogement devrait être considérée comme faisant partie intégrante de la violence des expulsions.

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