Les expulsions, une fabrique de la pauvreté !

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Que deviennent les ménages expulsés en Wallonie ? Combien de temps mettent les ménages pour se reloger de façon durable ? Quels sont les impacts à plus long terme ? On ne sait que très peu de choses encore une fois.

En France, la Fondation Abbé Pierre a publié une enquête nommée « Que deviennent les ménages expulsés de leur logement ? »  et qui explore ces questions  (P. Portefaix et M. Rothhahn, 2022). S’il n’existe pas de parcours type des personnes expulsées, cette étude a permis de mieux comprendre les trajectoires et se rendre compte des conséquences à plus long terme. En voici les principaux constats.

La violence des expulsions et ses conséquences dramatiques

Les procédures d’expulsion de logement ont des conséquences dramatiques sur le parcours de vie des personnes qui les subissent. Arrachés de leur domicile et de leur quartier, les ménages expulsés se retrouvent dans des situations absolument inhumaine, entrainant une précarité économique sur le long terme, une instabilité durable et atteinte grave à leur dignité humaine. Les expulsions sont violentes et traumatisantes. D’autant plus qu’elles touchent les ménages les plus vulnérables, dont les familles monoparentales déjà en situation de précarité. Mais aussi des personnes sans-papiers, des personnes sans-abris et isolées, et déjà victimes de multiples violences.

Une instabilité qui dure des mois

La première conséquence est l’instabilité durable dans laquelle se trouve les ménages expulsées. Plus de la moitié des personnes expulsées n’ont toujours pas retrouvé un logement stable après 11 mois. 11 mois d’instabilité et d’errance durant lesquels les familles, les enfants, les personnes âgées vivent dans une situation de précarité et de stress intense lié à la peur de se retrouver à la rue. Pour faire face à l’urgence, les ménages doivent trouver des solutions qui souvent sont inadaptées à leur situation : dormir chez des amis, dans la famille, à l’hotel, dans les hébergements d’urgence, dans la rue, etc.

C’est ce que confirme Sophie Crapez de l’asbl « Comme Chez Nous » à Charleroi qui accompagne et accueille des personnes sans chez-soi :  les expulsions légales et illégales fabriquent le sans-abrisme (ASBL Comme Chez nous, 2023). En effet, pour certaines catégories sociales particulièrement vulnérables, l’instabilité liée au logement peut durer plusieurs années et mener à plusieurs expulsions successives (judiciaires, illégales, administratives...), parfois sur une même année.

« Les conséquences sont beaucoup plus psychologiques, on est abattue et humiliée »

Ces situations de stress et d’instabilité ont des répercussions sur la santé des personnes qui les vivent. Selon l’étude menée par la Fondation Abbé Pierre, 3/4 des ménages expulsés souffrent de problèmes de santé ou des difficultés psychologiques liées à l’expulsion : angoisses, insomnies, anxiétés, dépressions, etc. (P. Portefaix et M. Rothhahn, 2022). Les expulsions ont également un impact sur le suivi médical : aggravation des maladies dues à une rupture dans le parcours de soin.

Pour l’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, les impacts sur la santé sont accentués chez les enfants et les personnes âgées : troubles du comportement, dépressions, cauchemards, décrochage scolaire, pertes de relations sociales et amicales, hospitalisations, accidents, etc. (Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale, 2019) Toujours selon ce même rapport, l’impact émotionnel et psychologique est l’élément le plus prégnant dans les récits collectés. Les expulsions ont des conséquences sur les individus mais aussi sur leurs relations familiales et sociales.

Une véritable fabrique de la pauvreté

Dans son enquête sur les expulsions à Milwaukee, le sociologue Matthew Desmond démontre comment les expulsions fabriquent et entretiennent la pauvreté et l’endettement chronique (M. Desmond, 2019). Les expulsions provoquent des effets silencieux et des coûts cachés sur les catégories socio-économiques les plus vulnérables (les mères célibataires et leurs enfants, les personnes isolées, les personnes non-blanches et les personnes âgées) en plus de la violence et du traumatisme qu’elles représentent (C. François, 2023 ; M. Desmond, 2019 ; P. Godart, 2023).

Toujours selon l’étude de la Fondation Abbé Pierre, une personne expulsée sur trois n’a pas pu poursuivre leur activité professionnelle après l’expulsion. Quand l’activité professionnelle a pu se maintenir, les revenus baissent en moyenne de 23 % : changement d’emploi, arrêts maladies, accidents de travail, réduction du temps de travail, etc. (P. Portefaix et M. Rothhahn, 2022).

En plus des pertes de revenus, l’expulsion génère des coûts cachés très importants pour les locataires en premier lieu, mais aussi pour la société dans son ensemble. Alors que la plupart des personnes sont expulsées pour des impayés de loyers, elles se retrouvent à l’issue du procès avec des dettes qui explosent suite aux indemnités, frais juridiques,  frais de garde meuble, pertes d’objets, rachats de nouveaux meubles, etc. Les ménages expulsés se retrouvent dans un cycle de surendettement dont elles mettront des années à sortir.

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de la Fondation Abbé Pierre déclare ne pas avoir assez de ressources pour subvenir à leur besoin après leur expulsion. Il s’agit donc d’une mise à mort sociale qui place les personnes en situation de dépendance vis-à-vis des services sociaux, déjà saturés.

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