Le gel de l’indexation des loyers des passoires énergétiques validé par la Cour Constitutionnelle

Dans un arrêt rendu le 20 juin 2024, la Cour Constitutionnelle examinait le recours en annulation du Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires (SNPC) concernant le décret de la Région wallonne du 19 octobre 2022 « modifiant l’article 26 du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et limitant l’indexation des loyers en fonction du certificat de performance énergétique des bâtiments ».

Retour sur cette décision qui démontre qu'il est possible d'agir sur les loyers !

Le contexte

Alors que l'inflation atteignait des niveaux records, le gouvernement wallon avait adopté ce décret pour deux raisons principales :

  • éviter aux locataires de payer des loyers démesurés en plus de devoir supporter l'augmentation du coût de l'énergie.

"B.4. Selon les travaux préparatoires du décret du 19 octobre 2022, le législateur décrétal est parti du constat d’une hausse exceptionnelle de l’inflation, laquelle se structure à partir des produits énergétiques. Il met en avant que « l’évolution de l’indice santé en raison de l’augmentation des prix des produits énergétiques a pour conséquence de faire payer deux fois la hausse des coûts de l’énergie aux ménages locataires de leur logement par le biais de la hausse de la facture ou de charges énergétiques et par le biais de la hausse des loyers indexés » (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1085/1, p. 3). Les auteurs du projet de décret chiffrent cette incidence sur le locataire à plus d’un 13e mois de loyer supplémentaire (ibid.)."

  • favoriser une stratégie de rénovation à long terme sur les passoires énergétiques.

"B.2.3 (...) « § 1er. Le Gouvernement établit une stratégie de rénovation à long terme des bâtiments, pour soutenir la rénovation en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050"

Geler l'indexation des loyers n'est ni discriminatoire ni disproportionné

Suite à l'adoption de ce décret, le Syndicat Nationnal des Propriétaires et Copropriétaires (SNPC), fervant défenseur des propriétaires bailleurs, avait déposé un recours en annulation devant la Cour Constitutionnelle. Dans leur requête, 4 arguments étaient développés :

  • un défaut de compétence dans le chef de la Région wallonne ;
  • une violation du principe d'égalité (divisé en 8 sous-parties) ;
  • une violation du principe général de sécurité juridique ;
  • une violation du droit de propriété privée.

La Région Wallonne est bien compétente pour fixer le prix des loyers

En Belgique, les compétences sont divisées entre plusieurs pouvoirs législatifs et exécutifs. Sans rentrer dans les détails, la Région Wallonne est notamment compétente en ce qui concerne le logement, alors que l'État fédéral est compétent en matière d'énergie (’article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980).

Dans son arrêt, la Cour Constitutionnelle rappelle que les régions ont de nombreuses compétences en matière de logement :

"B.10. (...) les régions peuvent, en vertu de cette compétence, adopter des règles spécifiques concernant la fixation du montant du loyer de biens destinés à l’habitation, en particulier en ce qui concerne l’adaptation du montant du loyer au coût de la vie. Ce faisant, les régions peuvent déroger aux règles de droit commun relatives à l’indexation des loyers, fixées à l’article 1728bis de l’ancien Code civil."

Elle rajoute qu'elles doivent "toutefois respecter le principe de proportionnalité, qui est inhérent à tout exercice de compétence" mais que ce principe était, ici, respecté.

La propriété privée n'est pas absolue

Dans son 4ème argument, le SNPC argumentait que le gel de l'indexation des passoires énergétiques était une violation au droit de propriété privée. Mais comme tous les autres droits humains, ce droit n'est pas absolu comme le rappelle la Cour Constitutionnelle :

"B.60.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi".

Or, pour la Cour Constitutionnelle, il est clair que le décret ménage "un juste équilibre entre les exigences poursuivies de l’intérêt général et celles de la protection du droit au respect des biens des bailleurs concernés". D'une part, pour protéger des locataires plus précaires que des propriétaires bailleurs (IWEPS, le portrait-robot des propriétaires bailleurs). D'autre part, pour permettre à la région d'atteindre ses objectifs climatiques. (B.59 à B.62).

La question des loyers et des passoires énergétiques sont des enjeux de justice sociale et environnementale. Face à de tels enjeux, le droit de propriété privée doit-il primer sur le reste ?  D'un côté, il s'agit d'un besoin fondamental (le droit au logement), de l'autre, un droit à faire du profit quand on est déjà plus riche que la moyenne (IWEPS).

L'égalité pour qui ?

Dans son deuxième argument, le SNPC évoquait une violation du principe d'égalité et de non-discrimination (article 10 et 11 de notre Constitution). Un argument décliné en 8 situations d'inégalité de traitement supposées : entre propriétaires bailleurs avec des logements et passoires et ceux avec des bons certificats PEB ; entre locataires de passoires énergétiques et les autres locataires ; entre locataires et bailleurs, etc.

La Cour Constitutionnelle rappelle que "le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée" (B.16.). Elle rajoute que le certificat PEB apparait comme un critère objectif qui peut justifier une différence de traitement (B.19.3). Un peu plus loin, elle justifie également l'intérêt de protéger spécifiquement les locataires qui vivent dans des passoires énergétiques :

"Il peut être admis que les conséquences de la hausse des prix de l’énergie sont les plus importantes pour les locataires de logements sans certificat de performance énergétique ou labellisés D, E, F ou G et que, par conséquent, seuls ces locataires doivent bénéficier d’une limitation de la possibilité d’indexer les loyers" (B.21.1.).

Ceci ne veut pas dire que seuls les loyers des passoires énergétiques peuvent être régulés mais bien que le Gouvernement wallon avait respecté le principe d'égalité entre locataires.

En ce qui concerne les autres prétendues violations du principe d'égalité et de non-discrimination, la Cour Constitutionnelle les a toutes rejetées, en justifiant à chaque fois du caractère objectif du critère de la différence de traitement et de la proportionnalité des décisions prises dans le décret.

Il est temps de geler l'indexation

Dans un autre arrêt (n° 63/2024) du 20 juin 2024, la Cour Constitutionnelle rendait une décision similaire sur le gel de l'indexation en Région Bruxelloise. Mais contrairement à la Wallonie, Bruxelles a décidé de continuer à geler partiellement l'indexation des loyers de passoires énergétiques. On peut regretter que le Ministre du logement wallon n'ait pas suivi l'exemple de sa camarade Bruxelloise. Mais ça on vous en avait déjà parlé ici.

Au vu des enjeux sociaux et écologiques, il est temps que la Région Wallonne gel définitivement l'indexation des logements passoires.